De l’eau et des montagnes, voilà comment on pourrait résumer les Îles Féroé. Honnêtement, après avoir vu la plupart des points d’intérêt du pays sur des photos très connues, je ne m’attendais pas à ce que tout le territoire soit littéralement en pente. Toute leur civilisation est aménagée pour s’imbriquer autour du paysage et épouser ses formes. Les routes en lacet qui contournent les montagnes, les tunnels sous-marins, les villages isolés, bref, une approche très respectueuse de la nature.

Durant les quelques semaines où j’ai pu parcourir ces contrées, j’ai eu la chance de pouvoir effectuer quelques randonnées et ascensions à droite et à gauche. Je vais en raconter deux dans cet article avec un prisme différent, tout d’abord parce qu’à la première j’étais seul et à la seconde accompagné, et ensuite parce que chacune a réveillé en moi des émotions et des forces différentes. L’excitation du bruit face à la douceur du silence.

Vous pourriez alors légitimement vous demander : pourquoi ce titre ? Et bien parce que la première ascension s’est faite au rythme du black metal et de toutes sortes de musiques sombres dans lesquelles j’ai réussi à trouver une force et une volonté que j’avais peur de ne plus jamais trouver. J’ai donc décidé de poser un trademark sur le concept et de créer une playlist (à retrouver ci-dessous) pour les affamés de randonnées en mal de motivation et amateurs de musiques extrêmes.

À lire également :

Nature (bientôt) morte

L’une des choses qui frappe le plus lorsque l’on pose les pieds sur les Îles Féroé, c’est la brutalité de leur environnement. Leurs paysages sont durs et presque lunaires tant ils ne sont composés que de montagnes délabrées et abruptes, hostiles à la vie humaine. Et puis, un sentiment s’installe dans notre esprit au fil des jours. La nature n’est pas simplement rude : elle est dangereuse. Et comme toute chose dangereuse, elle est respectée.

Entre les pentes interminables, les pics à chaque virage et les vents à faire s’envoler les pierres, on aurait été en droit de penser qu’un pays sous l’égide du Danemark aurait plus grandement aménagé son territoire. Au lieu de cela, les villages se sont formés au cours de l’histoire là où il y avait de la place, sans s’étendre à l’infini ni travestir l’horizon avec des tours à n’en plus finir. 

Sa météo, c’est ce qui a valu à l’île le surnom de « pays du peut-être », si symbolique de la vie de son peuple. Son climat changeant et parfois violent a forcé des générations entières à développer une grande faculté d’adaptation et une grande résilience face aux imprévus. Ici, il faut faire les choses lorsqu’on a le temps de les faire et ne jamais remettre à plus tard un instant de plaisir, car qui sait quand il sera possible de le faire de nouveau ?

Sur les îles, la règle est de laisser la nature aussi vierge que possible. Sans aménagement. Sans compromis. Sans irrespect. Tout doit rester brut et naturel aussi longtemps que faire se peut, à la manière des Highlands écossais.

L’un des gros débats d’actualité aux Îles Féroé, au point où cela en devient un sujet de discorde majeur lors des élections, c’est la place donnée aux touristes. Si ces derniers sont toujours plus nombreux, cela n’est pas du goût de tous, et notamment des fermiers. La terre féroïenne appartient à tous, ou plutôt à personne, c’est l’une des raisons pour laquelle les sites « touristiques » ne sont pas aménagés. Mais depuis quelques années, certains fermiers dont les domaines se trouvaient à proximité de chemins de randonnée populaires ont pu imposer une taxe de passage pour accéder à ces beautés naturelles. Pas moins de 200 DDK la randonnée, ce qui équivaut à presque 27 € au moment où ces lignes sont écrites.

Cette décision divise, car elle repose sur la violation d’une philosophie chère aux amoureux de l’outdoor : personne ne devrait avoir à payer pour profiter de quelque chose que l’homme n’a pas construit. Ce choix est aussi absurde que logique, car il vise à freiner l’arrivée en masse de cars de touristes qui, par leur simple présence, vont dégrader un lieu petit à petit, mais également déranger la tranquillité d’un peuple qui avait appris à se complaire dans sa singularité. Cela répond également à une envie de se développer économiquement au-delà du strict minimum en monétisant tout ce que l’on peut monétiser : le capitalisme à l’occidentale.

De roche et de soufre

Une fois au pied de la montagne Villingadasfjall, je ne sais pas vraiment à quoi va ressembler cette randonnée, mais je sais que mon mental autant que mes muscles vont être mis à l’épreuve. Je me sens en confiance dans ma tête, mais c’est le reste de mon corps qui fait office de point d’interrogation, surtout mes jambes. Le matin même, j’avais pris successivement un bus pour Klaksvík et pour Viðareiði, au nord de l’île de Viðoy, afin d’enfin atteindre l’étrange chemin pavé de pylônes bleus menant jusqu’au sommet. Il s’agit de la troisième plus haute montagne des îles Féroé, culminant à 841 mètres au-dessus du niveau de la mer (qui n’est jamais très loin).

L’ascension est longue, rugueuse, ce n’est définitivement pas un beau chemin bien propre, mais tout au long du trajet je ne perds jamais espoir d’en voir le bout. Je dois m’arrêter au moins soixante fois pour respirer, prendre des photos, vidéos, et m’hydrater. L’effort physique est intense, mais je trouve cela merveilleux de voir à quel point ma détermination me donne une force supplémentaire, quand bien même ma motivation s’effrite au fil des heures. Les mots de Christine Janin dans Dame de Pics et Femme de Cœur résonnent dans ma tête lorsque j’ai de plus en plus de mal à me faire une voie entre les rochers. Alors qu’elle emmène des rescapées du cancer du sein en trek sur le Mont Blanc, elle leur apprend à intelligemment trouver leur propre rythme. La vitesse n’est pas importante, tant que l’on avance. Ce qu’il faut, c’est avancer et ne rien lâcher. Même si on fait cinq pas toutes les minutes, même si on s’assoit à chaque foulée, le sommet, lui, ne bougera pas, il ne reculera pas et ne fera que nous attendre. L’important est et restera toujours de trouver une façon d’avancer.

À mi-chemin, une brume épaisse sentant le soufre vient envelopper le sommet. Elle se prête parfaitement à l’ambiance qui se déverse dans mes oreilles. Me voilà bercé et galvanisé par du post-black, sludge, doom et autre blackgaze, tout en grimpant à travers le brouillard. Je ne vois plus la ville en contrebas, pas plus que le fjord et les autres îles environnantes. La seule chose qui me guide, ce sont ces foutus poteaux bleus qui apparaissent les uns après les autres. Je me demande quelques instants si un volcan ne s’est pas réveillé quelque part et que je ne suis pas en train de traverser ses effluves, tant l’odeur est forte. Même si, après tout, c’est peut-être l’odeur naturelle des nuages.

Après un peu plus de deux heures, j’atteins le sommet et pousse un rugissement bestial, signe de ma modeste conquête (en attendant, un jour peut-être, le Rundle). Je ne passe pas énormément de temps en haut, suffisamment pour tenter de me prendre en photo avec mon appareil sans batterie et filmer durant l’intervalle où les nuages me laissent une vue imprenable du paysage.

Encore une fois, je ne peux que saluer la force incommensurable que m’a donné la musique, et en particulier le black metal, qui m’a accompagné durant toute mon ascension, même si ce n’était pas très malin de ma part de grimper avec un casque au vu du risque élevé de chutes de pierres. En redescendant, je croise deux couples qui refusent d’aller au sommet par peur ou par fatigue, dont une femme qui n’en revient pas que je sois en short.

« Si tu es Français tu ne dois pas venir de Paris pour ne pas avoir froid, tu dois venir des montagnes. »

Non, j’aime juste bien les shorts.

La playlist salvatrice

Qu’est-ce qu’un moment parfait ?

Un souvenir que l’on se remémore toute sa vie ? L’ivresse d’une ruée d’émotions intenses ? Une sensation pure de plénitude spirituelle ? Probablement une combinaison de tout cela. Pour moi, il est rare que je me rende compte immédiatement qu’un instant peut se transformer en souvenir parfait. Il faut souvent du temps pour réaliser la rareté de ce que l’on a ressenti.

Ce n’est pas le cas pour la journée dont il est question ici.

La randonnée fut longue et dangereuse pour atteindre Tindhólmur, une île-montagne mythique sur les côtes ouest de Vágar. La difficulté était minime, mais l’étroitesse du « chemin » et les pluies de la veille avaient rendu l’escapade glissante. Et aux Féroé, une glissade sur un flanc de montagne signifie la mort assurée. 

En arrivant au bord de la falaise qui fait face à ce pilier inébranlable, nous prenons un café et admirons ce que la nature brute et inviolée fait de mieux. « Nous », c’est moi et trois autres personnes. Une femme qui m’héberge depuis bientôt trois semaines, son mari que j’ai rencontré deux jours plus tôt et une consœur vagabonde, rencontrée le même jour que ledit mari. 

Après une grosse demi-heure, nous rebroussons chemin pour ne pas avoir à affronter les pentes glissantes dans le noir de la nuit. Le soleil se couche dans notre dos et nous nous retournons tous les dix pas pour admirer ce spectacle. 

Finalement, on s’assoit dans l’herbe afin de profiter au maximum des couleurs du ciel. C’est à cet instant que nous avons partagé un moment fort qui ne s’explique pas par la logique. Le genre de flux émotionnel que l’on réserve d’habitude aux films. 

Dans un silence naturel et poétique, chacun d’entre nous a réussi à exprimer son amour du monde avec son corps, sans polluer le moment avec des mots à rallonge et des gestes inutiles. Exactement l’inverse de ce que je fais en ce moment même avec ce texte. C’était, je crois, la première fois que je me retrouvais avec les yeux humides en regardant un paysage. 

Je ne l’ai compris qu’avec le recul, car j’ai ressenti ce silence dans une dimension différente, mais j’ai vécu un de ces moments uniques dans une vie où tout s’arrête. Mes pensées et ma voix intérieure m’avaient enfin foutu la paix. Le temps d’un souffle, je n’existais plus dans le même monde, je n’étais plus qu’un amas de sensations. Je ne pensais plus, je n’analysais plus, je ne me séparais plus de l’instant présent. Je ne pensais pas à ce que j’allais écrire maintenant. J’étais juste là. Je vivais. Le silence. L’océan. Les oiseaux. Les couleurs qui changent sous mes yeux. Je ne me suis jamais senti aussi en phase avec le monde que durant cette minute d’ataraxie. Pas depuis de longues années en tout cas. C’est, j’imagine, quelque chose que l’on passe sa vie à chasser. 

En nous relevant, nous affichons tous les marques de cet instant sur nos visages. 

« I got a little emotional there » entend-on.

« Me too »

Un inconnu qui se livre devant moi avec autant de sincérité, ça ne me laisse pas indifférent.


14 réponses à « Black Metal Hiking »

  1. Avatar de LES ROAD TRIPS DE 2022 – Vagabond Cosmique

    […] faites au sein même de plus grandes aventures durant mes mois de backpacking (comme ce fut le cas aux Îles Féroé par exemple ou plus récemment en Corse), mais ce serait tricher, et tricher n’est pas […]

    J’aime

  2. Avatar de LA VOIE FÉROÏENNE – Vagabond Cosmique

    […] Randonnée aux Féroé […]

    J’aime

  3. Avatar de À L’ARMORICAINE #1 : UN CROC DANS LE GR 34 – Vagabond Cosmique

    […] pouvez également lire d’autres récits de randonnées comme aux Îles Féroé ici ou encore en Norvège là. Suivez vos envies, vivez vos vies, et soyez le plus libres possible sans […]

    J’aime

  4. Avatar de LA BOUCLE EST DU SANCY – Vagabond Cosmique

    […] à lire mes précédents récits de randonnées dans le grand Ouest français (ici, ici et ici), aux Îles Féroé et en Turquie, ou encore à me lire sur l’alimentation, les road trips ou la […]

    J’aime

Laisser un commentaire