J’ai envie de faire cette section du GR 34 depuis trois ans environ, juste après être tombé par hasard sur un article intitulé Ker Rando qui narrait un tracé entre Paimpol et Saint-Brieuc. Trois années de tentatives d’organisation, de recherche de motivation et d’attente de la bonne occasion plus tard, je suis enfin prêt. Armé d’un acolyte de grande qualité, je m’apprête à me lancer dans ma première randonnée en itinérance, la première d’une (probable) longue série.

Comme elle va s’effectuer en duo, la pression est quasiment inexistante. Étant habitué à voyager en solo, avoir quelqu’un sur qui transférer un chouilla de charge mentale, ne serait-ce qu’au niveau de l’organisation, est une grande source de réjouissance.

C’est donc début juin 2023 que nous rejoignons Paimpol en train depuis Paris pour trois jours de marche en autonomie, avec une tente, de l’eau, deux casseroles (?), un réchaud, des espérances de bivouac discrets, une envie de se baigner dans les eaux agitées et un besoin de vivre une aventure sur la côte. Seulement quelques-unes de ces choses se réaliseront, pour les autres, cela nous donnera une occasion de repartir.

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Verticales limites

Il y a de ces réveils où vous avez l’impression de ne jamais vous être endormis. Ce premier matin était de ceux-là, autant pour moi que pour mon comparse, alors que nous partons à 5h20 de la banlieue parisienne pour rejoindre Montparnasse. Un espresso sur le pouce à Guingamp et deux ou trois micro-pertes de conscience plus tard, nous nous engageons sur le début sur sentier un peu avant 11h30.

S’il y a bien une chose qui m’a surpris après quelques heures sur cette section du GR 34, c’est à quel point la marche est étouffante. Il fait beau et chaud, certes, mais c’est surtout l’étroitesse du sentier en lui-même qui contraste avec l’idée d’une côte aérée qui s’était installée dans mon imaginaire. Très rapidement, l’idée de bivouaquer s’éloigne de notre plan initial, car on ne voit tout simplement pas où il serait possible d’installer la tente. Ce n’est pas grave, nous ne sommes que des créatures adaptables. Notre première étape s’arrêtant vers Lanloup, on parvient sans trop de problèmes à trouver un emplacement de camping pour la nuit (hors-saison et en pleine semaine, c’est plus simple).

Ce premier segment est dur, éprouvant même, et pas seulement parce qu’il s’accompagne d’une courte nuit et de notre inexpérience à gérer nos efforts. On monte de façon très raide et on descend de façon tout aussi raide pendant plusieurs heures, sans vraiment pouvoir reposer les jambes sur des parties plates. Vraiment, cette première étape est une ordalie visant à tester notre volonté. Heureusement, elle est en béton armé, notamment parce que nous sommes deux à être sur la même longueur d’onde.

En revanche, les paysages de la côte sont à couper le souffle. On transpire fort pour y arriver, car ce genre de vue se mérite. On est contents et on est fiers. Si la montée d’un escalier particulièrement pentu enclavant une crique de galets a failli avoir raison de moi, c’est la deuxième matinée qui me pousse à bout. Nous avions naïvement espéré avoir laissé le plus dur derrière nous, mais les premières heures de marche du deuxième jour, entre l’Anse de Bréhec et la pointe de Plouha, me font transpirer comme jamais je ne l’ai fait dans ma vie. Heureusement, en approchant la fin des falaises de Plouha, le sentier devient plus raisonnable pour les jambes et nous continuons de voir des paysages magnifiques – bien aidés par la météo qui nous gâte – sans être autant essoufflés que la veille.

Heureusement ? Pas vraiment, non. Si le sentier se calme et que les falaises sont derrière nous, qu’y a-t-il encore à voir qui mérite que l’on souffre pour y arriver ? La fin du séjour va s’en trouver quelque peu chamboulée alors que nous contemplons la mer qui s’agite depuis les rochers, se demandant si la conscience d’une moule est égale à celle d’une bactérie.

Le « thigh-killer » qui serpente sur la droite

Quand l’univers a pitié de vous

L’inexpérience n’est plus quelque chose qui m’effraie et, comme je le disais dans mon récapitulatif de mes road trips de 2022, chaque erreur est devenue une occasion d’apprendre quelque chose de nouveau. Ce que je veux également dire par là, c’est que je n’ai aucun problème à vivre avec mes échecs, car je les accepte, et j’accepte qu’ils ont été commis à un moment où je n’avais pas la sagesse suffisante pour mieux faire. C’est pour cela que je n’ai pas de problème à me perdre dans un pays étranger ou à me tromper de matériel pour un premier trek. Le moi du passé a rampé pour que celui du présent puisse courir. Ici, les erreurs furent relativement minimes et peu coûteuses, mais elles nous ont permis d’apprendre quelque chose, que ce soit sur nous-mêmes ou sur l’idée du voyage.

Par exemple, se dire “on va bien se démerder sans matelas dans la tente” était une effroyable idée qui ne se reproduira jamais. Oublier sa casquette pour l’un d’entre nous (je ne dirai jamais qui, mais ce n’était pas moi) quand il fait 30 °C et que l’on marche pendant six heures à visage découvert, c’est une autre chose qui risque peu d’arriver une seconde fois. Surtout quand vous vous retrouvez à parader avec une glorieuse casquette gentiment offerte par un camping. Alors oui, il est triste que la nature humaine nous pousse à passer par l’expérience personnelle pour ne plus reproduire une erreur, mais nous sommes tous si différents qu’il n’est pas si absurde de s’imaginer imperméable aux errements des autres. Au final, il n’y a rien eu de rédhibitoire, car nous étions deux adultes responsables, (trop ?) ambitieux, et (trop ?) sûrs de nos forces.

Il est également toujours amusant de voir comment l’univers réussi à vous donner un petit coup de pouce quand il le faut. Par exemple, nous nous sommes trompés de chemin par deux fois durant ces trois jours, mais ces deux fois nous ont amenés à pouvoir remplir nos ressources d’eau. J’en profite pour remercier le blog (que je n’ai pas noté, désolé) qui m’a appris que les cimetières possédaient des points d’eau, car je l’ignorais. On pourrait lancer un débat sur l’ironie de notre aménagement urbain, où les centres-villes n’ont pas de fontaines pour désaltérer les vivants alors qu’il y a à disposition des robinets pour les fleurs des morts, mais ce n’est pas le sujet. Merci également à la dame qui nous a arrêtés sur une plage pour nous prévenir que si nous continuions dans cette voie, la marée allait nous bloquer. Quand on apprend, il faut savoir faire feu de tout bois.

Plage Bonaparte, sans la Prusse

Marcher au rythme de son propre tambour

Comme pour la plupart de mes articles estampillés “aventure”, je me sens obligé d’y développer une portée philosophique (même si le mot est bien gros). C’est toujours une ode à la liberté que de voyager quelque part, que ce soit à l’étranger ou à côté de chez soi, tout seul ou à quinze, car les voyages se déroulent avant tout dans la tête. Je dois cependant avouer qu’être livré à soi-même pendant quelques jours est une expérience que je recommande chaudement, même si elle ne doit arriver qu’une fois.

Je disais plus haut que la fin du deuxième jour avait un peu chamboulé la fin du voyage, et il est temps d’y revenir. Une fois passé les falaises, le terrain est devenu beaucoup plus soft, beaucoup plus monotone et, hélas, beaucoup plus redondant. Les chemins étriqués dans les forêts et les rochers bringuebalants sur les corniches avaient laissé place à des petits villages aux routes goudronnées. Loin de nous l’idée de manquer de respect auxdits villages que l’on trouve entre Saint-Quay-Portrieux et Binic-Étables-sur-mer, mais nous n’étions pas là pour longer des routes ni pour respecter un itinéraire strict. Si le trajet devenait pénible et n’offrait plus de récompenses, alors à quoi bon ? C’est pour cela que nous avons décidé de boucler le voyage par vingt minutes de bus jusqu’à Saint-Brieuc, ne ratant que quelques plages de sable fin qui, de toute façon, ne nous intéressaient pas plus que cela.

Pépouze

Et j’en reviens au titre de cette section, « marcher au rythme de son propre tambour ». L’expression signifie que l’on trace sa propre route sans vraiment s’occuper de ce que font les autres, et c’est plus ou moins l’état d’esprit avec lequel nous avons pénétré sur le GR 34. Il faut savoir que, mis à part l’article mentionné en introduction, toutes les randonnées s’effectuant sur ce segment font le chemin inverse, c’est-à-dire partent de Saint-Brieuc pour finir à Paimpol. Cela s’est confirmé sur la route, car nous avons croisé une centaine de personnes, peut-être plus, et seulement deux qui allaient dans le même sens que nous. Il est amusant de remarquer que celles avec qui l’on a pu discuter lors de notre première journée nous ont toutes dits “vous n’avez pas choisi la partie la plus facile du GR”. De manière générale, voir le visage des vieux s’illuminer en apprenant que c’était notre première “grosse” rando m’a rappelé cette chose touchante : les vieux aiment voir les jeunes faire des trucs.

Nous avons marché au rythme de notre propre tambour, parce que nous ne devions rien à personne si ce n’était à nous-mêmes. Nous avons adapté ce qu’il fallait adapter et avons pris les décisions qui nous convenaient le mieux, et ce sans regarder ce qu’en pensaient les autres. Si nous avions commencé par Saint-Brieuc, nous aurions marché une journée sur du goudron et n’aurions peut-être plus eu la motivation d’aller au bout pour voir la meilleure partie. Si nous avions poussé sur nos jambes pour faire les étapes initialement prévues et n’avions pas adapté notre trajet pour coller à notre rythme et nos envies, l’un de nous se serait peut-être blessé ou aurait été dégoûté par l’expérience. Mais ce n’est pas le cas. La liberté que l’on se donne ne se négocie qu’avec soi. Nous sommes très heureux de ce que nous avons accompli, aussi dérisoire que cela puisse être dans le microcosme de la randonnée. Des débuts encourageants comme dirait l’un, est-ce qu’on peut s’abîmer les canaux auditifs avec ses propres ronflements demanderait l’autre.

Notre itinéraire:

Jour 1: Gare de Paimpol – Abbaye de Beauport – Pointe de Bilfot (et Oli) – Bréhec (6h)

Jour 2: Bréhec – Falaises de Plouha – Saint-Quay-Portrieux (6h)

Jour 3: Saint-Quay-Portrieux – Binic-Étables-sur-mer (3h) – Saint-Brieuc (20min en bus)

Vous pouvez également lire d’autres récits de randonnées comme aux Îles Féroé ici ou encore en Norvège là. Suivez vos envies, vivez vos vies, et soyez le plus libres possible sans emmerder les autres.


12 réponses à « À L’ARMORICAINE #1 : Un croc dans le GR 34 »

  1. Avatar de CUISINE AILLEURS #1 – Vagabond Cosmique

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    […] Un croc dans le GR34 […]

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