Les récits de Science-Fiction qui arrivent chez nos libraires sont en plein renouvellement depuis quelques années, et ce pour notre plus grand plaisir de lecteurs. Des sous-genres se créent ou s’affirment, des auteurs et autrices venus de l’étranger sont enfin traduits, et ce mouvement autrefois stigmatisé de niche se décline dorénavant sous suffisamment de formes pour parvenir à toucher un public hétéroclite.

Parmi les mouvances les plus à la mode, on retrouve le Hopepunk, une variante de la SF et de la Fantasy qui mise sur une atmosphère moins désespérée, une résolution de conflits plus douce et une intrigue basée sur l’évolution plus que sur l’affrontement. On l’oppose par exemple au Grimdark, une mouvance où, au contraire, chaque recoin du monde a le potentiel d’être suffisamment gangréné pour dérober la moindre étincelle d’optimisme à ses personnages. Rassurez-vous, cela ne veut pas pour autant dire que le conflit n’existe pas en Hopepunk, ni que les livres transpirent d’une naïveté écœurante où tout est beau et gentil.

L’idée que l’espoir, la gentillesse et l’optimisme soient vus comme des niaiseries inintéressantes à explorer narrativement est précisément l’une des raisons pour lesquelles cet article existe.

Les papiers sur le Hopepunk et sur son visage moderne, à savoir Becky Chambers, commencent à fleurir un peu partout, je ne vais donc pas m’attarder à en faire une analyse stylistique poussée. J’avais par ailleurs déjà recommandé les livres de Chambers dans cet article. Ce qui m’intéresse, c’est de constater à quel point nous avons collectivement besoin que ce mouvement existe, prenne de l’ampleur, et s’impose dans notre quotidien.

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L’art influence le monde. Le monde influence également l’art, bien sûr, mais l’art influence le monde d’une façon peut-être plus insidieuse que l’on ne croît. Il suffit de voir les efforts que l’on fait pour insérer des valeurs positives dans les films pour enfants afin qu’ils puissent les défendre à l’âge adulte. Bon, quand on voit certains adultes, on se dit qu’il y a encore du travail, mais c’est peut-être aussi parce que les œuvres auxquelles on est exposé dans l’entre-deux, à savoir pré-ados, ados et pré-adultes, sont nourries par une esthétique et un schéma narratif empêtrés dans le pessimisme et la glorification de la déchéance. Destruction imminente du monde, dérives capitalistes et technologiques, invasion, cataclysme climatique, tout est fait pour rendre cool et agréable à regarder l’idée de se défendre une fois qu’il est (presque) trop tard.

En mettant de côté l’aspect sensationnaliste du cinéma grand public, on constate également que la majeure partie de la littérature jeunes adultes populaire se déroule dans un monde fortement en proie aux inégalités, à l’injustice et à un système gouvernemental oppressant. On fait donc entrer dans l’inconscient collectif que l’injustice est inévitable, que l’optimisme est vain et que l’apocalypse arrivera. Il faut admettre qu’il est plus stimulant, d’un point de vue narratif, de créer des récits montrant des personnages tentant de rétablir un statu quo pré-apocalypse, plutôt que de les regarder empêcher une catastrophe. Un film sur un building qui s’écroule est plus amusant à voir qu’un autre sur des ingénieurs qui renforcent les fondations. Réparer est une chose que l’on fait lorsqu’on n’a plus le choix, tandis que protéger est une action qui est anticipée, et si c’est une mécanique peu passionnante dans l’art, elle est hélas essentielle dans le monde réel.

Preuve en est, le pessimisme et la résignation sont devenus des prises de position à la mode, non seulement car l’esthétique des ruines est plus excitante à explorer, mais surtout parce que c’est la voie qui nous demande le moins d’efforts. Un livre comme The Conspiracy Against the Human Race de Thomas Ligotti prend par exemple le parti de dire que l’on subit plus de souffrances que de plaisirs dans notre vie, allant jusqu’à déplorer le concept même de conscience et louant la possibilité de l’extinction de la race. Si on peut admettre que ce n’est qu’un essai philosophique de niche qui attaque notre perception de la réalité selon un angle bien défini, il faut également se rappeler que l’ouvrage a servi de référence pour la première saison acclamée de la série True Detective. Le message a donc été diffusé à grande échelle.

La première œuvre que j’ai vu tenter d’exposer le problème de l’ultra-pessimisme est le bien mal-aimé Tomorrowland de Brad Bird (2015). Dans ce dernier, le fait de fantasmer les désastres dans la pop-culture et de surexposer le moindre événement négatif dans l’actualité participe factuellement à la destruction de la planète. Si le film n’a pas forcément été fait pour taper du poing sur la table en renversant le paradigme, il a eu le mérite de mettre le doigt sur quelque chose d’essentiel : plus on sera à refuser de céder au pessimisme, plus ce sera facile de trouver des solutions. Le film a hélas fait un bide et personne n’a vraiment repris le flambeau de ses idéaux, ni n’a approfondi l’archétype du personnage qui refuse d’abdiquer face à un monde qui brûle.

Attention, je ne dis pas que le Hopepunk doit devenir le chemin unique de la fiction, ni que l’on doit proscrire les récits mettant en scène des thèmes et des personnages plus sombres. Après tout, la pensée unique est la mort de l’Homme et le Hopepunk n’est pas non plus un terrain complètement dénué de noirceur. Certaines histoires ont de toutes façons besoin d’un conflit grandiloquent pour faire passer leur message, et ce dernier peut n’être impactant qu’à travers la douleur. Nous en avions notamment parlé dans l’épisode du podcast Overbooké où nous explorions les univers fictifs dans lesquels nous aimerions vivre, en faisant le choix d’ignorer les conflits indissociables aux récits afin de se concentrer sur les environnements (l’exemple était d’ignorer les orques qui recherchent le porteur de l’anneau pour vivre en Terre du Milieu).

Je me suis réellement rendu compte de l’influence néfaste que pouvait avoir l’art sur l’inconscient collectif avec le débat très actuel de l’intelligence artificielle. Ce sont les propos d’un chauffeur de taxi qui ont fait ressurgir un étrange souvenir de 2014 concernant le film Transcendance, alors tout juste sorti. N’étant pas particulièrement intéressé, je n’étais pas allé le voir, mais j’avais tout de même regardé le début d’une critique d’un vidéaste francophone. Dans sa chronique, ce dernier disait cette phrase que je trouve encore choquante aujourd’hui : “je ne comprends pas pourquoi on continue de faire des recherches sur l’IA dans la vraie vie quand on voit que ça finit toujours mal dans les films”. Le chauffeur de taxi m’avait sorti un argument similaire en parlant de ChatGPT, une phrase du style “on voit bien que dans les films ça finit toujours mal pour les humains.”

Évidemment que dans les films une IA va être antagonisée, puisque c’est de cette façon que le script a été écrit afin de générer un problème à résoudre pour les héros (script écrit par un humain, de surcroît). La pop culture a besoin de méchants pour faire du grand spectacle et attirer du monde dans les salles de cinéma. Quoi de mieux, dans ce cas, d’opposer aux héros des 1 et des 0 afin d’empêcher le public de se ranger du mauvais côté. Bien sûr que dans War Games l’ordinateur tente de déclencher la troisième guerre mondiale, sinon il n’y a pas de remise en question de notre humanité, bien sûr que dans 2001 HAL 9000 tente de tuer l’équipage, sinon la première moitié du film serait ennuyeuse. 

La méfiance globale vis-à-vis des ordinateurs vient en partie du manque de prises de risques sur le traitement de l’IA dans les grosses productions culturelles, la réduisant trop souvent à une menace froide. On pourrait tout de même citer Her de Spike Jonze, mais il s’agit d’une production indépendante en dépit de son succès, ou encore Wall-E d’Andrew Stanton qui reste un film d’animation destiné, dans l’inconscient collectif, à un public plus jeune. Lorsque l’on parle d’une intelligence artificielle capable de passer le test de Turing, le tout-venant citera toujours les sagas Terminator et The Matrix avant Robot & Frank (Jake Schreier, 2012) ou Mon Ami Robot (Pablo Berger, 2023). Résultat : la population croit dorénavant massivement que la seule issue pour les IA est de mener l’humanité à sa perte. L’art influence le monde.

L’idée avec le Hopepunk est donc de (re)construire une partie de notre imaginaire, non pas à partir de problèmes à résoudre, mais plus de solutions à appliquer. Oui, on peut s’en sortir si on s’en donne les moyens, et non, il n’est pas trop tard pour changer le cap du bateau. Que ce soit dans les livres, dans les films, dans les jeux ou dans les débats, il est résolument indispensable pour notre futur que l’espoir devienne une esthétique bankable. Après tout, si on creuse pour trouver de la merde, on finira toujours par en trouver, alors pourquoi ne pas sortir sa pelle pour chercher autre chose ?

Quelques œuvres littéraires pour vous aiguiller : 

  • Un Psaume pour les recyclés sauvages de Becky Chambers
  • La Maison au milieu de la mer Céruléenne de TJ Klune
  • Défaillances Systèmes de Martha Wells
  • The Goblin Emperor de Katherine Addison
  • A Conspiracy of truths d’Alexandra Rowland

5 réponses à « Pourquoi le mouvement Hopepunk doit perdurer »

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